Rugby Amateur : Les phases finales ou le printemps du rugby

C’est le printemps du rugby. D’Alban à Issoudun en passant par Dourdan et Toucy, les émotions et la raison se bousculent en cette période incomparable des phases finales. En ce dimanche de phases finales, le RC Dourdan, dans l’Essonne, reçoit en 32 e de finale de Championnat de France de Régionale 2 le Rugby Toucy-Puisaye-Forterre, club de l’Yonne. C’est sous le soleil et avec la musique de la Ligue des champions que les joueurs entrent sur le pré du stade Maurice-Gallais, avant une minute de silence en hommage à Cyril Danon, joueur disparu du club de Toucy. La victoire des Franciliens 3612 confirme leur saison à une seule défaite et déjà un titre régional. Le 6e et dernier essai du RCD est d’ailleurs inscrit par Ilian Espagne, fils de l’entraîneur Éric, frère du troisième ligne Matthis, qui fête sa première titularisation à 18 ans.
Dans le Tarn, à l’USC Alban (30 minutes d’Albi), ce sont les orages de printemps qui servent de fil rouge pour ce 16e de finale aller de Fédérale 3 contre Issoudun (1 er de poule). Alors que le village compte 960 âmes, ce sont près de 800 spectateurs qui se massent au stade Puech-Sabathié, en contrebas du centre-ville et du collège Alain-Fournier. Les burgers et autres saucisses sont dévalisés, un bon signe pour la recette, une autre donnée importante de ces matches de phases finales. Les enfants, eux, jouent dans le gymnase à côté des supporters attablés et des quelque 80 partenaires du club. La bandas et la sono réchauffent l’ambiance avec notamment l’hymne local aux couleurs du club : « On boit du rouge, on boit du blanc, les supporters d’Alban ! » Une soixantaine de supporters adverses ont fait le long trajet depuis l’Indre pour partager ces instants, à l’image des présidents des deux clubs qui déjeunent ensemble dans un vrai moment de partage.
Sportivement, le 28-18 de ce match aller permet à chacune des deux équipes de croire en ses rêves au match retour. Une rêverie qui se conjugue autant avec parcours vers un titre qu’avec une accession à l’échelon supérieur pour le vainqueur. Cerise sur le gâteau, les Tarnais ont la surprise de se déplacer au match retour avec le bus à deux étages du Castres olympique. Pour en arriver à ces aventures colorées et bruyantes, emplies de joies ou de peines, il y a de longues semaines de compétition, d’entraînement, de décisions en haut lieu comme dans les clubs.
Car si l’être humain est résilient et que le temps fait son affaire, personne n’oublie qu’il s’agit de la première saison d’après-Covid complète. « La Fédé et nos partenaires ne nous ont pas abandonnés durant la crise Covid, rappelle Bernard Mauriès, l’un des deux co-présidents d’Alban. C’est aussi grâce à eux qu’on vit ces bons moments. Ces phases finales créent une belle dynamique, ramènent du monde au stade, de nouveaux bénévoles ou de nouveaux partenaires. » Si l’épidémie a fait arrêter des bénévoles ou des jeunes, elle a eu quelques vertus, comme le relate Joachim Robert, capitaine d’Issoudun, troisième ligne et éducateur au club auprès des jeunes. « Il y a trois ans, on s’est servis du Covid qui nous a empêchés de descendre pour construire un projet global de club des M14 jusqu’aux séniors. Ces phases finales sont une récompense de toute cette action et pour notre équipe, dont certains membres vont rentrer à minuit avant d’embaucher à 6 heures dans le bâtiment. »
Les clubs sont dorénavant davantage sollicités par la FFR sur les grandes décisions. Ils disposent de plus d’outils qu’avant pour les accompagner et simplifier leurs tâches, le rappelle Valentin Miclot, directeur délégué aux compétitions nationales à la Fédération. Comme les équipes vivant cette fin de saison, lui et son service sont dans le momentum. Après avoir sécurisé les derniers matches, les éventuelles réclamations et les classements, les phases finales ont été élaborées et les informations relayées vis-à-vis de toutes les équipes et les officiels.
Tous les mardis, un Comité de pilotage réunit à l’initiative de la direction des compétitions de la FFR, tous les responsables des compétitions des Ligues pour traiter aussi bien du week-end à venir que des cas bloquants. « Avec un peu plus de retours terrain, argue Valentin Miclot. On reste convaincus que c’est une bonne organisation qui permet d’uniformiser la construction des compétitions régionales. Cela faisait des années qu’aucune modification majeure des compétitions n’avait eu lieu. Ce fut un projet aussi courageux qu’ambitieux. » L’un des deux co-présidents d’Alban, Alain Imbert, apporte sa vision sur ce point si important. « Tous les efforts et les ennuis sont oubliés lors de moments comme cela. Avec notre petit budget et un déplacement de l’ordre de 5 000 €, recevoir en phases finales met du beurre dans les épinards. Notre formule de championnat actuelle nous plaît et rencontrer des équipes d’autres régions à la fin est enrichissant. »
À l’heure des qualifications/ éliminations et des premiers bilans, la réforme de la pyramide des compétitions est dans toutes les bouches et l’organisation des futures poules devient un moment très attendu. La création de la Nationale 2 a ainsi apporté une solution logique, répartissant mieux les étages inférieurs avec moins d’inégalités, ainsi que le souligne l’entraîneur de Dourdan, Éric Espagne, qui a quasiment gravi tous les échelons depuis la 4e Série : « Il faudra quelques années pour que les divisions régionales se rééquilibrent. C’est aussi vrai en R1 et en R3. Avec notre accession en R1, le niveau va s’élever. On partira un peu mieux car on a réussi à construire une réserve à 10. On est champions, c’était difficile de refuser une nouvelle fois la montée. Ça va être dur et ça va dépendre du recrutement avec nos moyens, c’est-à-dire pas grand-chose. On a 50 licenciés aujourd’hui, ce n’est pas assez. » Son fils, Aurélien, lui emboîte le pas : « Les équipes de haut de tableau de 1ère Série se sont retrouvées avec celles du milieu et de fin de tableau de Promotion d’Honneur. Il y a eu quelques équipes un peu faibles, qui ont eu du mal à finir la saison, mais nous, on a regardé devant. » L’entraîneur/ joueur de Toucy-Puisaye-Forterre, Cédric Massot, précise, lui, que la refonte des compétitions n’a rien changé pour son club : « Pas en niveau de jeu. Notre effort a dû être porté sur notre réserve qui avait dû déclarer forfait l’an passé et qu’on a dû aider cette saison. Il y a peut-être des réflexions à mener en ce sens. »
Valentin Miclot apporte son regard institutionnel sur ces compétitions nationales et fédérales : « Cette saison a été très positive. Sportivement, avec la redéfinition des niveaux, on a assisté à des rencontres attractives. Lors de séminaires de Nationale, Nationale 2 ou Fédérale 1, les clubs nous ont tous dit que c’était très intéressant. Je pense notamment à la création de la Nationale 2, une compétition que tout le monde trouve compétitive et qui a redessiné les niveaux qui en dépendent. » Le contextuel joue évidemment son rôle. Cette saison, avec le nombre plus important de matches de phases finales, la phase régulière s’est achevée plus tôt.
Il y a aussi eu des déplacements un peu plus nombreux, lointains et coûteux avec le prix croissant de l’essence ou de la vie. Voire des soucis à trouver des transporteurs. Qu’importe, la magie opère toujours, comme l’explique François Giovanni, l’un des entraîneurs d’Alban : « Avoir 35 garçons durant toute la saison aux entraînements, se qualifier pour des phases finales et avoir un super état d’esprit étaient notre objectif. C’est déjà atteint. » Son vis-à-vis du RCI, David Ligot, est tout aussi positif. « On a fini meilleure équipe nationale, n’ayant connu que deux défaites. Plus on joue de matches de phases finales, mieux c’est ! Cela fait du bien au trésorier, et dans notre région qui est moins rugby que d’autres, cela crée une dynamique. » Côté FFR, un fonds de réserve de près de 500 000 € a été sacralisé pour aider ces déplacements. Enfin, une petite pénurie de terrains disponibles pour accueillir des 32 es de finale s’est réglée en évitant des matches en aller-retour trop précoces.
La Fédération veille à la suite des phases finales afin de mener des réflexions justes en vue de la saison prochaine, ce que précise Valentin Miclot. « Vivre l’expérience des phases finales est l’essence même du rugby. Mais qui dit plus de matches dit plus de contraintes. On réfléchit afin de pouvoir y faire face. On se pose sans cesse des questions sur le bon équilibre entre le nombre de qualifiés et le format des phases qualificatives et finales. » La réforme de l’accompagnement financier des clubs est aussi menée de front, ne reposant plus essentiellement que sur les indemnités kilométriques (IK), ce que salue Serge Gachet, l’un des quatre co-présidents d’Issoudun : « La prise en charges des IK permet une meilleure répartition entre les clubs surtout pour ceux qui comme nou,s sont un peu éloignés. »
La réforme sur les compétitions fédérales avec la prise en charge des officiels de match a aussi porté ses fruits. « C’était un très gros chantier, rappelle Valentin Miclot. Cela a demandé beaucoup de travail afin de supprimer la relation financière directe à l’issue du match entre les officiels et les clubs. Centraliser tout cela pour la Fédération est énorme. La mise en place de forfaits communs en est le résultat. » Dans les stades, « ne pas avoir à sortir le carnet de chèques après chaque match est un détail qui va dans le bon sens », estime Serge Gachet, l’un des co-présidents d’Issoudun. Au-delà d’une démarche de moins pour les clubs, cela permet un pilotage du budget encore plus sérieux.
Grâce à des barèmes, les clubs peuvent anticiper dans leur budget ce que ce poste va leur coûter. Enfin, la FFR a aussi réduit les déplacements des officiels dans une logique RSE. Mais qu’il s’agisse de bénévoles (souvent absents lors des week-ends de ponts et de phases finales) ou de joueurs, une dernière réalité concerne les effectifs. La trésorière de Dourdan, Colline Forgé, s’en explique. « Avec notre montée, la réserve passe d’un rugby à 10 à un rugby à 15 et on a un manque sur les M16/19, bien qu’en entente sur ces catégories et les M14 (avec Ballancourt, Étampes et Rambouillet). On a lancé une phase de recrutement, la première de cette envergure dans l’histoire du club, qui fête ses 50 ans. Un titre de champion de France serait un beau cadeau. »
Avant même la fin officielle de la saison, un tour des Ligues et de leurs responsables des compétitions a déjà été engagé par la Fédération afin de faire un premier bilan des compétitions régionales. Mais l’avenir, c’est déjà la reprise de la saison prochaine qui a été anticipée. 2023-2024 débutera le dernier week-end d’août avec la reprise de la Nationale quand la Nationale 2 démarrera le week-end suivant. Pour ce qui est des compétitions fédérales, le 2e ou le 3e week-end de septembre est évoqué. Les reprises des compétitions régionales sont, elles, laissées à l’initiative des Ligues régionales. Si la date de la finale de la Coupe du monde sera sacralisée (28 octobre) sans matches amateurs, les clubs ont fait le choix de mêler rugby des clubs au 3 e événement sportif planétaire pour une symbiose attendue.